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D.R.
Zoom par Patrick Adler
Gelsomina
A la Folie Théâtre

Transposer "La Strada" au théâtre était un pari. Le texte puissant de Pierrette Dupoyet et l'interprétation bouleversante de Nina Karacosta en font un moment de grâce inouï. Félicitations à la programmation avisée de A la Folie Théâtre pour toutes ses pépites.
Nina Karacosta n'a pas son pareil pour camper Gelsomina. Elle a la candeur, la douceur et la mélancolie de l'enfant ingénue, vendue à Zampano, un rustre tyrannique qu'elle incarne aussi avec brio, tout comme le funambule auquel elle confère une fantaisie, une poésie des plus touchantes. Vous l'aurez compris, Nina est seule en scène et maîtrise tout : elle campe tous les personnages, joue un texte riche et varié, hésitant, imagé, gauche mais fleuri chez Gelsomina, âpre et rugueux chez Zampano, poétique et décalé chez le Fou.

Gelsomina est ce condensé d'ingénuité, de douce naïveté dans un monde de brutes. Elle figure la soumise prédestinée, qu'on ne voit ni ne considère. Entrée comme par effraction dans le monde du cirque où son tyran lui fait vite comprendre qu'elle n'est rien ("Elle ne sait même pas braire" sic), incapable de résister à son autorité, ses ukases, ses rudoiements, ses coups - ses fugues répétées seront de courte durée -, elle est comme l'agneau sacrificiel. On est dans une relation de maître à esclave. Elle est l'objet, sans le complément. Elle a pourtant, dans sa gaucherie, les mots qu'il faut, ce bon sens paysan. On se prend alors à espérer un ailleurs pour elle, et elle va le trouver un jour chez le funambule, l'homme libre ("Il tirait la langue à la vie, on a compris tous les deux qu'on marchait sur le même fil", dit-elle). Elle vivra une parenthèse heureuse, apprendra beaucoup de lui. Ses mots, ses conseils, l'apprentissage de la trompette lui rendront le sourire dans sa vie de nomade. Comme les soeurs du couvent. Tout n'est donc pas pourri dans ce royaume. Las ! Le destin en a décidé autrement. Zampano coupera le fil de la vie du funambule.

Cette parabole du fil - la vie de Gelsomina, quelque part, ne tient qu'à un fil - illustre la fragilité de son existence. La mort de celui qui se hissait si haut en équilibre et qui l'a révélée, notamment par ces mots devenus mantras "Même un petit caillou, ça sert à quelque chose" la ramènera au point de départ, chez cette mère qui l'a vendue. Gelsomina, comme la Cosette de Hugo, c'est le drame de la misère, le drame des pauvres gens dont l'unique et grande richesse est la qualité d'âme car, face à Zampano l'assassin, reparti seul sur "la Strada", elle trouvera encore les mots qui excusent : "Comme vous devez être malheureux, vous avez tout manqué".

Nina est assurément une grande conteuse doublée d'une comédienne hors-pair. Donnez-lui une petite scène, un vélo, une remorque, quelques objets épars, deux ou trois cailloux, quelques toiles au fond qui figurent la route - la Strada - et les plaines italiennes et elle vous emporte pendant quatre-vingt-dix minutes dans un voyage bouleversant qui, évidemment, par les chants, les musiques, l'accent de Nina rappellent la Strada de Fellini - même si Nina est grecque - mais réveillent surtout notre imaginaire . "Gelsomina" est de ces spectacles dont tout un chacun ressort bouleversé. Quand la charge émotionnelle est si puissante, que le public applaudit à tout rompre, on se dit que le pari est gagné.
Au théâtre, on appelle cela une performance d'acteurs. Courez voir cette pépite !
Viva la Strada ! Viva Gelsomina ! Viva Nina Karacosta !
Paru le 27/02/2024

(1 notes)
GELSOMINA
À LA FOLIE THÉÂTRE
Jusqu'au dimanche 5 mai

THÉÂTRE CONTEMPORAIN. Gelsomina et Zampano sillonnent les routes d’Italie, menant l'âpre vie des forains. Zampano ne cesse de rudoyer Gelsomina. Elle éprouve cependant un certain attachement pour lui. Cette histoire va brusquement basculer dans le drame. L’adaptation de Pierrette Dupoyet, à la fois originale et fidèle,...

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